samedi 30 mai 2009

EPHEMERE

Ce matin, ouvrant ma fenêtre aux rayons de soleil, j’ai vu se produire l’anodin que j’ai réappris à admirer. Une feuille d’arbre dansait avec un petit bout de papier au gré du vent qui les emportait, de ça de là, sans aucune ligne directrice apparente. Tantôt face à face, tantôt se touchant, parfois plus distants pour mieux se rapprocher : j’y voyais pourtant une véritable chorégraphie. La feuille était encore toute verte : à peine éclose, elle s’était déjà envolée au pays des vents, elle s’était déjà séparée de son tuteur et de ses congénères. Tel un papillon, elle volait sans se soucier de l’inéluctable imminence de la mort. Elle jouait avec le soleil tout autant qu’avec son acolyte …Ce vieux bout de papier rabougri, déteint par un soleil de plomb, était aminci par l’usure de l’usage.

Ce matin, je n’ai pas seulement vu ces deux feuilles danser ensemble, j’ai aussi remercié le soleil de m’avoir montré ce couple atypique. Je l’ai remercié d’illuminer de sa chaleur bienveillante cette métaphore de la vie. Il n’y a pas d’âge pour danser, il suffit que le soleil vous illumine, il suffit que le vent vous porte encore. Il n’y a pas de forme pour danser, il suffit d’un partenaire de jeu, voire d’un public. Il n’y a même peut-être pas besoin d’être humain pour danser. La danse spontanée de ces deux bouts de feuilles était aussi belle qu’indescriptible : elle n’était ni classique, ni contemporaine, ni moderne … Simplement, elle existait à mes yeux ébahis de tant de complicité entre deux oubliés de la vie : l’une rejetée de son placard électoral et l’autre de son arbre voisin.

L’arbre dansait aussi au gré du vent, mais sa danse était comme figée, sans cesse rappelée à l’ordre par la rigidité de ses branches. Il déployait ses ramées les unes après les autres, puis toutes ensembles dans un même geste : l’image faisait appel à tant d’acteurs, tant d’individualités niées par le bien-fondé du groupe, qu’elle en devenait presque symphonique. Le mouvement de ces deux petits bouts de feuilles était bien plus beau, bien plus libre, bien moins prévisible, bien plus heureux en somme.

Pourtant, il était éphémère. Une fois le vent retombé, le petit bout de feuille s’est retrouvé parmi d’autres de ses congénères en train de composter, tandis que le vieux bout d’affiche allait s’entraver dans une toile d’araignée. C’est peut-être cette brièveté qui rendait la chose si belle. Finalement, n’est-ce pas cela que l’art de la scène : un instant éclairé sous les feux de la rampe, suivi d’une destruction rapide de l’œuvre qui ne subsistera que dans les mémoires.
(texte : Olivier, photo : Anne)

1 commentaire:

  1. Merci pour ce texte,sensible,imagé.
    Il est tout comme toi rempli de délicatesse, d'observation.Je le relirai encore et encore...

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